INTER-ViOUS et MURAT : Voyage de Noz, Karl-Alex steffen, Porco Rosso

Publié le 20 Novembre 2010

  Inter-ViOUS et MURAT-,  Numéro 8 :

 

LE VOYAGE DE NOZ

KARL-ALEX STEFFEN

PORCO ROSSO

 

 

yann                                                                                                                 ãYann Giraud-surjeanlouismurat

                                                                                        

        Une « inter-ViOUS et Murat » aujourd’hui !  Puissance 3,  car j’ai l’honneur de vous convier à une rencontre avec  3 auteurs-musiciens-interprètes : Yann Giraud de PORCO ROSSO,  combo parisien,  François de KARL-ALEX STEFFEN (KAS) d’Orléans,  et Stéphane Pétrier, du VOYAGE DE NOZ made in Lyon. 

         Pourquoi les réunir ?  Outre leur intérêt pour Murat, mais qui ne s’entend pas forcement, ils ont pour points communs leur démarche « indé » et une certaine ambition musicale et textuelle en français,  en autres choses : Karl-Alex Steffen et Le Voyage de Noz sortent tous les deux un « album-concept »… nous plongeant dans le passé...  Je dois avouer, mais certains doivent finir par le savoir, que je connaissais nettement plus le VOYAGE DE NOZ, que j'ai dû voir en concert une quarantaine de  fois... depuis bientôt 20 ans!   C'est cette histoire qui a fondé mon intuition qu'ils avaient tous les trois des choses à se dire et à partager... Je me permets de dire que je ne  pense pas m'être trompé! 

  

 

- Alors pour commencer, il faudrait faire les présentations, car  il me semble  que vous  ne vous connaissez pas,  est-ce que vous pourriez vous présenter en quelques lignes (vous, votre groupe, et éventuellement 3 références musicales)?   

 

FRANCOIS- KAS :  Bonjour à tous,

            Pour vous dire tout d'abord que je suis très heureux de participer à cette inter-VIOUS.  Ensuite, j'ai commencé à écouter un peu Porco Rosso et le Voyage de Noz ; dans les deux cas, je découvre et le peu que j'ai entendu m'a donné envie d'y revenir.

          Karl-Alex Steffen est mon principal projet musical. Je suis à l’origine de celui-ci depuis 2002. J’écris les textes ainsi que la majorité des compositions et des arrangements. Au départ, c’était d’ailleurs un projet solo, puis, progressivement, c’est devenu un projet collectif notamment pour nos premières sorties discographiques et scéniques.

         Avec le dernier album « Les Traces », nous sommes allés beaucoup plus loin avec les quatre musiciens qui m’accompagnent (Lila Tamazit, Bertrand Hurault, Pierre Schmitt, Sébastien Janjou) dans la mesure où, pour certains titres, le processus de création a été fondé sur une réappropriation complète par le groupe des univers que j’avais pu proposer en démo. 

Bref, un projet constamment en mouvement, entre individualités et collectif, qui reste marqué par l’univers d’un auteur mais qui s’enrichit chaque jour de la confrontation avec des musiciens venant d’horizons différents.

           Pour les influences, si le jeu est d’en garder trois, je dirais Sonic Youth, Diabologum et Bashung….mais il n’est pas sûr que ma réponse soit la même si l’on me réinterroge à ce propos demain ! 

 

 - Je serais intéressé par des précisions :  Vous êtes originaire de quelle région?  et si comme dirait Murat, vous êtes un "j'ai un job à côté"?...   Je voulais aussi préciser que vous connaissez bien je crois, Erik Arnaud, mon précédent Interviewé...

 

 FRANCOIS- KAS : Pour le moment, nous sommes tous orléanais. Trois d'entre nous "vivent de la musique" et les deux autres ont effectivement un job à côté, dans l'enseignement.

             Pour ce qui est d'Erik Arnaud, c'est un très "vieil ami" puisque nous avons commencé la musique ensemble il y a une vingtaine d'années maintenant ; il nous a aussi apporté son savoir faire en termes d'enregistrement sur nos deux premiers EP "Le Coup du Siècle" (2003) et "Billet Express" (2005) et a effectué le mixage d'une grande majorité des titres sur notre premier album "Le Grand Ecart" paru en 2007. Pour "Les Traces", s'il n'a pas participé directement au projet, il a suivi le projet d'assez prêt et a fait partie des deux ou trois personnes qui ont écouté les titres dans leur différentes versions et dont le ressenti a pu compter au moment de trancher entre plusieurs options. 

 

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ãKarl Alex steffen-surjeanlouismurat

 

 

 YANN  GIRAUD : Un grand plaisir aussi pour ma part de faire cette interview à quatre et de découvrir deux univers exigeants et une écriture en français courageuse. Je suis ouvert à toutes les possibilités, mais souvent je trouve que les groupes français chantant en anglais prennent le risque du manque d'originalité et de la comparaison avec leurs influences. En écoutant K.A.S et le Voyage de Noz, je me rends compte que ce qui est intéressant, c'est justement la collision entre la chanson française et les influences anglo-saxonnes. Il en sort toujours quelque chose d'intéressant et de personnel.

           Pour répondre à la question, Porco Rosso est un groupe de la région parisienne a été créé en 2002 autour de mes compositions. On l'a toujours envisagé comme un groupe, mais le line-up a beaucoup changé depuis les débuts. Seul le bassiste, Stéphane Perez, joue avec moi depuis le début. Le guitariste Xavier Guéant nous a rejoint il y a un an et n'a pas participé à l'album qui vient de sortir (La Vie Sans Moi, 2010). Il fait partie d'autres projets parisiens dont De La Jolie Musique et the Einstein Tremolos Quant à notre batteur, il vient juste de nous rejoindre après le départ du précédent. Il s'appelle Sébastien Pasquet et joue dans une foultitude de projets dont le sien, Tristen, qui vient d'être signé chez Volvox Music. Sébastien est le seul à pratiquer la musique à plein temps. Stéphane, Xavier et moi avons des métiers qui sont assez prenants. Je suis pour ma part enseignant-chercheur, ce qui occupe la majeure partie de mon temps, et il m'arrive de faire aussi des chroniques musicales et des interviews pour un magazine qui s'appelle XRoads. Pour ma part, ça ne me pose aucun problème d'être un "j'ai un job à côté". Contrairement à Murat, je crois en l'amateurisme éclairé. Des pros, il y en a plein qui jouent sur les disques de Michel Sardou ou Calogero. Je ne crois pas que ce soit un gage de qualité. Nos métiers ne sont pas des pis-aller mais nous pratiquons la musique aussi sérieusement que possible quand nous en avons le temps. Depuis 2002, nous avons sorti trois Eps et donc le premier album en octobre 2010, sorti sur French Toast, un label associatif parisien en LP et en téléchargement sur les plate-formes habituelles.
             Si je devais citer trois influences sur la musique que nous faisons, je mentionnerais Sparklehorse, Talk Talk et pour citer un autre français que Murat, je dirais Dominique A dont l'influence est, je pense, plus audible sur le résultat final que celle de JLM.

 

 

STEPHANE PETRIER :   Bonjour à tous. Je suis moi aussi très heureux de participer à cette aventure.   Etant en pleine période de bouclage d'un nouvel album je n'ai pu qu'aller survoler le travail de François et de Yann mais j'en ai assez entendu pour comprendre pourquoi Pierre nous a lâché tous les trois dans l'arène. Il y a incontestablement des liens entre nous tous, une impression de faire partie d'une famille... même si je suis bien incapable de dire laquelle.

            Je m'appelle Stéphane Pétrier et je suis le chanteur et - allez je vais l'assumer... - le leader du Voyage de Noz, mon groupe de toujours. L'histoire a commencé en 1985, à Lyon, alors que nous étions tous au lycée... et depuis elle n'a jamais cessé. Nous avons connu dès le début un joli petit succès régional (3000 exemplaires de notre premier CD vendus assez vite en Rhône-Alpes, remplissage de salles assez importantes comme le Transbordeur [où a été enregistré MURAT LIVE]) mais nous n'avons jamais - pour de nombreuses raisons qu'il serait sans doute long d'expliquer maintenant -  franchi le pallier du professionnalisme. Avec du recul, je ne garde pas ou peu de frustration par rapport à ça. Comme le faisait remarquer Yann, je crois moi aussi que l'important est de bien faire les choses, que l'on soit amateur ou professionnel. Quand je compare notre aventure avec celle d'artistes proches qui ont "signé", je me dis que nous avons eu de la chance. La chance de durer, la chance d'évoluer en totale liberté, même si la modestie de nos ventes nous a empêché de vivre de notre passion (aujourd'hui seul notre bassiste est intermittent... en travaillant avec plusieurs groupe évidemment). Nous avons également la chance d'avoir un public assez étonnant qui ne nous a jamais lâché et qui nous permet de vendre 2 ou 3 000 albums à chacune de nos sorties... de quoi continuer à faire les choses correctement, à notre petit rythme d'artisan.  

              Concernant l'horrible question des influences, je vais tricher en citant trois influence anglo-saxonnes : Arcade Fire, Divine Comedy et les Beatles et trois artistes français dont les textes me touchent : Bertrand Cantat, JP Nataf et... allez Raphael (!!!) qui a, je trouve, une vraie liberté et une vraie qualité d'écriture. L'Auvergnat on en parlera après...

 

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 - Et bien , ça a commencé sur les chapeaux de roue...  même pas eu le temps de préparer la suite, moi!  Au niveau des références, vous ne m'avez pas facilité les choses d'ailleurs : je comptais un peu que François et Yann évoquent  Wilco ( un groupe que vous citiez tous les deux comme référence ailleurs )... et Stéphane, de la matière un peu plus "progressive" (Queen,  Wyatt)...  Toutefois,  merci d'avoir souligner  un certain discernement  dans  mon  choix de vous inviter tous les 3... même si ça me fout  encore plus la pression, et la pétoche...

            Alors, évidemment, le point commun  évident entre vous trois,  c'est bien sûr d'écrire des chansons  en français...   Là dessus, Murat n'a jamais varié (même s'il a dit avoir des titres écrits en anglais dans les malles du grenier)... mais sans toujours se revendiquer "rock".  Est-ce que vous, vous tenez à cette étiquette? Et utiliser le français ne vous a.. ou ne vous pose-t-il pas des problèmes d'identité?

 

STEPHANE PETRIER : Bon alors déjà d'emblée j'esquive la question sur l'appellation "rock". Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire et je m'en fout. Qu'on nous catalogue chanson française, pop rock, cold-wave ou trash-reggae, peu me chaut comme dirait l'autre. Je n'ai aucun problème avec la "variété française", j'ai toujours préféré Jacques Brel ou Alain Souchon à des trucs soit-disant rock mais qui m'emmerdent profondément (je pourrais te citer des noms si tu es sage).

 

           Concernant le chant en français, là aussi je ne me suis jamais posé la question. La première fois que j'ai voulu faire une chanson, ça s'est imposé comme une évidence. Je crois que c'est Jean-Louis Aubert qui disait "Je chante en français parce que la nuit, je rêve en français" ; c'est exactement ça. Pour moi, écrire un texte, c'est une façon de me foutre à poil, d'essayer d'être le plus honnête possible. Et j'ai toujours considéré que les artistes français qui chantaient en anglais le faisaient soit par fainéantise, soit par manque de couilles. Pour être juste, je crois qu'il existe une troisième catégorie, plus respectable, ceux pour qui la voix n'est qu'un instrument parmi d'autres, un instrument qui n'est là que pour "sonner" et qui donc se foutent totalement de ce qu'ils peuvent raconter. Dans tous les cas, je trouve ça dommage.

         Dommage bien sûr parce que j'ai l'impression que ces artistes là sont quelque part moins "honnêtes", mais dommage aussi parce que je pense qu'ils passent à côté de quelque chose. Techniquement, c'est beaucoup plus dur de "faire sonner" en français (notamment sur les parties rythmées et violentes) mais en revanche, quand on y arrive, quel bonheur !

          On a la chance d'avoir une langue beaucoup plus riche, beaucoup plus variée au niveau des sonorités que l'anglais et quand ça fonctionne c'est terrible.

           Les rares fois où j'ai utilisé l'anglais, c'était très clairement par défaut, par renonciation, parce que je n'arrivais pas à mettre un texte correct  en français. A l'époque de notre second CD "Le Signe" où nos managers avaient des rêves de grandeur, nous avions commencé à enregistrer une version anglaise de l'album (pour "l'international" comme ils disaient....). Mis à part le fait que j'avais un accent lamentable, ça ne ressemblait à rien... ça manquait d'âme, nous  perdions notre identité, ce serait au contraire me mettre un masque et me trahir.  Idem avec Noir Désir par exemple : Bertrand Cantat réussit parfois à me bouleverser quand il chante en français. En anglais, il ne me touche plus, redevient banal et ressemble à des dizaines de groupes anglo-saxons.   Je fais peut-être un peu trop long non ?

 

- non, non, c'est bien... tant que tu ne racontes pas de blagues, ça va.  Yann?

 

YANN  GIRAUD : Je crois que je partage à peu près tout ce qui a été dit. C'est sûr, je pourrais toujours te citer quelques groupes intéressants chantant en anglais (Pokett ou The Delano Orchestra et quelques potes à moi qui me semblent faire cela avec beaucoup de conviction) mais globalement, je suis d'accord pour dire que le chant en anglais marque souvent un manque de personnalité ou d'affirmation. Or, qu'est-ce qu'être artiste s'il ne s'agit que de se mettre en retrait. L'autre jour, je discutais avec un ami qui est aussi responsable d'un label parisien et il me disait que l'impression qu'il retire de la plupart de ces artistes est qu'ils ne font de la musique que pour exposer leurs goûts. Le mec aime les Strokes alors il fait un truc à la manière des Strokes ... du coup, on se retrouve avec des groupes qui font de la musique qui existe déjà, et souvent en mieux.

           Quand je vois ça, je me dis que je devrais supprimer pas mal de noms qu'on trouve dans la rubrique "influences" sur les sites du genre MySpace, Noomiz, etc. C'est aussi pour cela que je n'ai pas cité Wilco. Ok, c'est l'un de mes trois groupes préférés, mais est-ce que ce que l'on fait est réellement inspiré par eux ? J'en doute car c'est un groupe avec une dynamique de malades. Il y a des gens dans ce groupe qui évoluent parallèlement dans le milieu du free-jazz ou du post-rock un peu barré. Alors, certes, ce serait excitant de pouvoir faire cette musique là avec des paroles en français, mais de plus en plus, je me rends compte que pour que ça fonctionne, c'est la chanson qui doit passer en premier. Si tu as une bonne chanson, tu peux la jouer en acoustique, sur un rythme reggae, ce sera toujours aussi bien. D'ailleurs, dans Porco Rosso, on aime bien réarranger les morceaux sur scène, surtout quand on n'arrive pas à les rejouer !

          Bon, tout cela pour dire que comme pour Stéphane, le choix du français m'est apparu comme une évidence. Je ne pense pas que ça pose un problème quelconque par ailleurs. Peut-être que ça ferme quelques portes dans des salles parisiennes, mais à part cela, les labels et les radios continuent de plébisciter les groupes qui chantent en français. Les salles aussi, il me semble ...et puis, je crois que même des gens qui ne vont pas forcément être fans de ce que l'on fait vont au moins apprécier la démarche.

            Pour ce qui est du rock, je suis aussi comme Stéphane. Le maître mot pour moi, c'est la mélodie. C'est pour cela que la musique tend vers la pop aussi. Après, j'aime la distorsion, l'électricité, la batterie. Alors, oui, c'est rock dans ce sens là, mais sinon, je ne vois pas quelle est la fierté de faire du rock, en quoi il y a un intérêt de s'arroger ce label là. Je déteste tout le discours qui consiste à se demander si quelque chose est rock ou ne l'est pas. Pendant que je tape ces quelques lignes, j'écoute Silver Mt. Zion, c'est du rock, ça ? Honnêtement, je m'en fous un peu.

 

STEPHANE PETRIER : Ca va pas du tout ça les gars ! On est d'accord sur tout !!!  Quand est-ce qu'on se met sur la gueule ?

 

- Ah, non!! ça fera trop rock and roll!! 

 

FRANCOIS- KAS : Comme Yann et Stéphane, nous ne revendiquons pas d'étiquettes particulières. Les questions de certains journalistes portant sur le style du groupe visent plus à construire une représentation de notre musique pour leurs lecteurs :  c’est utile, concis mais aussi très restrictif. « Rock » permet sans doute de souligner le rôle de l’électricité ainsi que l’omniprésence des guitares et des saturations, au risque de gommer tous les autres ingrédients constitutifs de notre univers.
             Pour l’écriture en français, c’est venu assez vite mais les premières chansons composées le furent dans la langue de Shakespeare. Depuis, les titres que je compose sont quasiment tous en français mais je me donne le droit de placer quelques phrases en anglais de temps à autre pour amener des couleurs et des sonorités différentes, pour un passage assez puissant ou crié, puis une partie avec beaucoup de chœurs... Et puis, en France, nous avons tout de même de nombreux chanteurs ou groupes qui ont un rapport très intime à la langue et à la culture anglaise et  qu’on peut à mon avis considérer comme de grands auteurs.

STEPHANE PETRIER : Qu'entends-tu par "chanteurs ou groupes qui ont un rapport très intime à la langue et à la culture anglaise" ? S'il s'agit de gens comme Gainsbourg par exemple, je suis d'accord. Il utilise beaucoup de formules et joue avec les anglicismes mais, je  dirais, à la rigueur pas plus que toi et moi dans la vie de tous les  jours. Il continue à "me parler" en français. En revanche, je ne vois  
pas pour ma part de "grands auteurs" français qui écriraient  totalement en anglais. A qui penses-tu ?

 

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FRANCOIS- KAS :  Lorsque j'ai utilisé l'expression "grands auteurs" français écrivant en anglais,  je ne pensais pas à Gainsbourg mais à des artistes plus confidentiels comme Piers Faccini, Santa Cruz, Laetitia Shériff, Jullian Angel, David Fakenahm (etc.) qui ont soit une approche très poétique de lalangue anglaise soit un remarquable savoir faire pour construire leurs chansons comme de petites nouvelles. Je trouve intéressant de voir comment ces groupes évitent les pièges évoqués par Yann et Séphane et parviennent à se réapproprier des pans entiers de la culture populaire américaine. Ce ne
sont pas les plus connus, ils ne visent sans doute pas un succès planétaire mais leur démarche artistique est à la fois intègre, sincère et passionnante, bien loin d'autres groupes se contentant de cloner les artistes anglo-saxons écoutés à la maison. Et puis, parmi mes groupes favoris, il y a aussi les Married Monk, avec des textes qui là aussi sont parfois très bons même s'ils parlent un peu trop  systématiquement de boisson !

 

- Finalement sur ces deux questions du rock et du français, vous êtes sensiblement sur la même position que Murat. Alors Murat, justement...  Est-il à ranger dans vos influences ? (en matière de : musique, texte, méthode... )     

 

 

YANN  GIRAUD Je ne crois pas que Jean-Louis Murat soit une influence directement identifiable dans notre musique. En revanche, en ce qui concerne la démarche, JLM a eu une influence déterminante. Quand nous avons commencé à faire de la pop sous le nom de Porco Rosso, au début des années 2000, l'idée principale était de se démarquer du rock alternatif qui à l'époque polluait les radios. Bien sûr, nous avons toujours eu beaucoup de respect pour Noir Désir, un groupe totalement déculpabilisant pour le rock français, mais il y a avait tous ces clones à la radio et puis aussi, toute cette soupe punk-ska plus ou moins alter-mondialiste qui, je pense, a bien pourri la scène française. À cause d'eux, tu ne pouvais pas faire du rock en France sans qu'on attende de toi une prise de position politique. Je pourrais citer deux ou trois noms, mais j'imagine qu'on voit de quel genre de formations je veux parler. Et en plus, en contre-attaque, on a eu l'extrême inverse, la nouvelle chanson française qui elle, ne parle que de la queue au supermarché, de la vie banale de tous les jours, les trucs dérisoires. Ai-je besoin qu'on me parle de ma vie de merde ? Je ne crois pas. Donc, la qualité en France se situe quelque part entre ces deux écueils, et là, on trouve un type comme Murat : des textes beaux et poétiques, de la mélodie, un peu d'ambition. Et puis j'aimais le discours qu'il avait en interview, le refus de la facilité et de la médiocrité, l'idée aussi que même si on n'a pas à se référer aux anciens (Brel, Brassens, Ferré), ça reste quand même dans nos gènes, que toute chanson française se fait en référence à la variété, qu'il ne faut pas forcément chercher à lui tourner le dos.        

               Après pour les textes, Murat n'est pas mon influence principale. Je pense plutôt à des gens comme Morrissey, Ray Davies ou Bob Dylan (Blood on the Tracks surtout), mais en français. Les textes de Murat sont plus métaphoriques, attachés à une certaine idée de la poésie française classique (Louise Labé, l'amour courtois, tout ça). Je cherche à raconter des histoires ou à m'inscrire dans une époque, un contexte, même si ce n'est pas forcément à prendre au premier degré, je me sens plus proche de Dominique A en ce sens. Comme ce dernier, la façon dont Murat place sa voix, en revanche, est importante pour moi. Ce n'est pas évident à faire sonner, le français. Peu y arrivent avec fluidité, sans que ça accroche, sans qu'il y ait trop de maniérisme. J'aime ça chez lui aussi.

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FRANCOIS- KAS :  Pour ma part, je n’ai jamais considéré Murat comme une influence majeure. Mes influences sont longtemps restées presque exclusivement anglo-saxonnes et la découverte de Murat fut finalement assez tardive. Par ailleurs, en dépit de mon intérêt pour son œuvre, peu de disques de Murat m’ont touché de manière suffisamment profonde pour influencer mon approche de la musique et de la création.

         Il y a cependant une exception : Mustango. En effet, cet album, comme Remué de Dominique A, Fantaisie militaire de Bashung ou #3 de Diabologum, représente pour moi un des horizons indépassables de la chanson française des années 90-2000. Des textes d’une beauté désarmante, des influences anglo-saxonnes parfaitement assumées et intégrées, des voix et une production chaleureuses et sensuelles, plus que d’une influence, il s’agit là d’une référence ultime à l’aune de laquelle on peut jauger ses propres compositions et enregistrements.

         En outre, ce qui me paraît rapprocher ces quatre albums, c’est, dans leur démarche, la volonté de leurs auteurs de donner une forme nouvelle à la chanson d’ici en étant aussi ambitieux  sur les textes que sur les musiques, en assumant pleinement toute la diversité de leurs influences respectives et en se détachant du côté parfois un peu larmoyant voire nombriliste que peut prendre la chanson française « à texte ».

Pour finir, je suis assez d’accord avec les propos tenus par Yann sur l’habilité qu’à Murat de faire sonner sa voix et sur les qualités poétiques et métaphoriques de ses textes.

 

          Mais,  Yann (la question peut s’adresser à Stéphane également), en dehors des références citées pour tes textes (Morrissey, Ray Davies ou Bob Dylan), es-tu également influencé par certains écrivains ?   "Mourir" aurait pu avoir sa place sur un album de JLM , non ?

 

STEPHANE PETRIER Pour ma part, mon rapport avec Murat est assez ambigu.

            Je l'ai d'abord longtemps détesté... ou plus exactement il m'agaçait... Je n'aimais pas sa façon de faire des textes, notamment sa façon très "XIXème siècle" d'évoquer ses sentiments.

Certaines phrases, par exemple, je crois que c'est dans "Col de la Croix-Morand" comme "j'éprouve un sentiment profond", je trouvais ça insupportable : pour moi un auteur n'a pas le droit de dire ça, il doit le faire comprendre, le suggérer... En revanche, j'étais déjà jaloux de sa voix, de sa classe naturelle et je me disais que si j'étais une fille je serais sûrement tombée amoureuse de ce sale type.

Les choses ont basculé, je ne sais trop pourquoi, avec "Le moujik et sa femme"  qui reste pour moi un de ses meilleurs albums. Là, j'ai commencé à tout lui pardonner et je me suis enfin "laissé aller", j'ai accepté de rentrer dans son univers sans intellectualiser la chose. Aujourd'hui, c'est toujours pareil : j'accepte de Murat des choses (tant au niveau des textes que de la musique) que je trouverais ridicule venant d'un autre. Je crois surtout que j'aime sa liberté, la façon dont il assume le mélange des genres, et bien sûr son talent pour faire sonner la langue française, c'est peut-être en ce sens qu'il est pour moi une influence.

           Pour répondre à la question des personnes qui m'ont réellement influencé au niveau de l'écriture, je citerais moi aussi Morissey, pour sa capacité à oser se mettre à nu, mais aussi beaucoup de choses dans la variété française des années 70 notamment (Souchon, Aznavour, même Delpech ou les tout premiers albums de Balavoine) où on avait un vrai talent pour raconter une vraie histoire en
quelques minutes, planter un décor... J'adore ça. Je trouve qu'un garçon comme Renan Luce aujourd'hui réussit par moment à retrouver cette grâce. L'écriture beaucoup plus intellectuelle de Bashung me fascine également mais me touche peut-être moins (sauf l'exception sublime qu'est "Fantaisie militaire" album touché par la grâce où j'ai enfin l'impression que le bonhomme tombe le
masque et me parle de ses souffrances sans que le vernis de la virtuosité le protège).
          J'ai du mal à savoir si les écrivains que j'aime (Bret Easton Ellis, John Fante, Vargas Llosa) m'influencent. Il y a plutôt parfois un flash, un film, un livre, une BD qui va un jour m'inspirer une chanson, mais je ne crois pas que cela ait une emprise directe sur mon style.



 

YANN  GIRAUD Pour ma part aussi, c'est toujours difficile de savoir si je suis influencé par d'autres formes d'art que la musique. J'aime beaucoup d'écrivains (Houellebecq, Jim Harrison, Dan Fante, Russel Banks ...), mais est-ce que ça m'influence sur la forme ? J'en doute. Je dirais que ce sont les sujets qui m'influencent, les ambiances aussi, mais pas l'écriture elle-même. Idem pour un certain cinéma qui me touche et peut me suggérer des images. Je pourrais aussi citer certains champs philosophiques. Au début, je voulais citer une phrase de Deleuze et Guattari dans notre disque, puis les membres de mon groupe m'en ont dissuadé. Ils ont bien fait, je crois ... Dans "Mourir", en effet, il y
a une référence explicite à Murat quand j'emploie le terme "cariatide",
[utilisé dans « aimer »]  mais pour le reste, je ne sais pas.

            C'est marrant, les albums que cite François. On revient toujours à la même poignée d'artistes, c'est un peu déprimant, non ? Sur ce que dit Stéphane aussi sur les années 70, je suis assez d'accord, mais chez moi, ça concerne plus la musique que les textes. Quand j'entends des trucs comme les premiers Véronique Samson, je me dis qu'il y a un super son au niveau de la rythmique, ça groove à mort, et il me semble qu'on a perdu la clé. Récemment, j'ai cru entendre un peu de ça chez M. Même si ça ne me touche pas à titre personnel, je lui reconnais d'avoir un peu réhabilité ce son là et je trouve bien aussi que ça s'adresse à un public assez large.

           Je constate que depuis quelques temps, du point de vue des textes, je suis de moins en moins en phase avec le style de Murat et de plus en plus avec celui d'Étienne Daho. J'ai longtemps ignoré ce dernier et me rend compte qu'en fait, c'est beaucoup plus difficile de se mettre à nu avec des textes simples que de se cacher derrière des postures. Sur le dernier album d'Étienne, il évoque des choses crues et bouleversantes sur sa rupture amoureuse et sa relation avec son père. C'est quand même vraiment courageux d'écrire (et plus encore de chanter) : "tu veux savoir pourquoi aujourd’hui je ne t’aime plus, pourquoi depuis un moment, je ne te désire plus et tu pleures en secret toutes les larmes
de ton corps, comme si j’étais mort". C'est peut-être moins élégant, moins littéraire, mais arriver à cette épure, c'est du gros travail et je crois qu'on ne s'en rend pas assez compte.

 

-  J’ai toujours gardé en mémoire la leçon de Gilles Vigneault sur la beauté des phrases construites avec des mots simples à une ou deux syllabes…  et ta citation Yann m’a fait penser à cela. Mais soit, moi, ce que j’aime dans l’écriture de Murat, c’est qu’il n’y a aucune expression toute faite (ce que je reprochais à Biolay…),  même si on peut aussi parler de « facilité »  quand on va dans l’abstraction et l’abscond.            (concernant Deleuze : je crois qu’Abdel Malik t’a grillé ! J’l’ai entendu parler d’une chanson évoquant les 3 D : Deleuze, Derrida et Debray…). 

 

 

 

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La pochette osée de l'album "L'homme le plus heureux du monde" du Voyage de NOZ... Ca va bien avec Murat, non?

 

 

LE LIEN EN PLUS :  

 

Voila de quoi faire connaissance avec ces "jeunes groupes":  

 

http://www.karl-alex-steffen.com/

http://www.myspace.com/karlalexsteffen

Photo-108-comp.jpgle bel objet en édition limitée que voilà...

 

http://www.porco-rosso.com

 http://www.noomiz.com/porcorosso
 http://www.grosse-caisse.com/musique/porcorosso

Pour eux, aussi, choix du bel objet : EP disponible en  vinyl uniquement...  

 

th_CoverPorcorosso.jpg 

 

 

http://www.levoyagedenoz.com/

http://www.deezer.com/fr/music/le-voyage-de-noz

http://www.bonne-esperance-the-story.fr/   (teasing du nouvel album à sortir le 27/11)

v_bonne-esperance.jpg

 

 

 

A SUIVRE!!!!

Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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L
<br /> <br /> Excellent entretien. Jean-Louis Murat?, c'est encore les musiciens qui en parle le mieux (pour paraphraser une publicité du temps jadis).<br /> <br /> <br /> Beaucoup aimé lire leur point de vue. C'est vrai ce que dit Giraud sur l'écriture de Daho, j'avais remarqué cela aussi sur son dernier album, si beau. Mais lui aussi, Daho, a fait quelques<br /> incursions dans les figures de style de la poésie classique (on pourrait citer des titres facilement). Chez Murat, l'écriture poétique n'est jamais un artefact, c'est une voie pour lui de<br /> connaissance, "d'être au monde", après il y a des chansons qui touchent plus que d'autres, c'est sûr...Jipé Nataf lui avait déjà fait cette réserve, si je me souviens bien, vers 1995, mais comme<br /> ces musiciens semblent s'accorder pour le reconnaître, c'est peut-être bien parce que Murat est ce qu'il est et fait ce qu'il fait (oulà pardon pour le truisme brûlant ) qu'il développe leur propre style sans arrière-pensées. Dans le "Judee" de Porco Rosso (tiens, au fait y a bientôt un film des<br /> studios Ghibli, "Arietty", qui sort ) il y a des rimes de la poésie mélodique classique Beatlesienne, sans que cela nous<br /> dérange, au contraire.<br /> <br /> <br /> Je pense que la culture anglaise des musiciens français n'a jamais été aussi forte qu'aujourd'hui, prenons Diving with Andy, par exemple, on peut facilement traiter ce groupe un peu par-dessus la<br /> jambe, le trouver pla-plan, mais quand on se penche sur les textes de Juliette Paquereau (et même sur la musique de Galichet), attentivement, on découvre tout un paysage subtil dont seul, et<br /> c'est un pardoxe de surface, un certain classicisme d'écriture de chanson française a peut-être pu favoriser l'apparition.<br /> <br /> <br /> Mais Murat c'est bien autre chose...Royal Cadet, par exemple, c'est un titre qui, en apparence a mille reflets classiquement poétiques. Et pourtant, c'est un blues magnifique, étrange, une<br /> confidence intime, qui vaut deux Bateau Ivre et n'importe qu'elle chanson introspective de Neil Young, à elle toute seule.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> ... Royal cadet... Tu as déjà lu la deuxième partie de l'interview ou quoi?<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> dis-donc, Pierrot, tu nous offre là de la lecture et de l'écoute pour un dimanche entier à rester enfermé! Il ne me manque que la cheminée et la peau d'ours pour me vautrer à même le sol<br /> et jouir de cette journée de repos hivernale en continuant de découvrir tout ce que tu nous donne en partage... un grand MERCI!  <br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> oui...  sans doute près de 40 ans de musique avec les NOZ (1986), puis Karl-Alex steffen et Porco Rosso autour de 1992! ... Donc il faut mieux prendre son temps pour les<br /> découvrir! <br /> <br /> <br /> ce qui est intéressant avec les NOZ, c'est que les  albums reflètent certaines  époques: la new wave, le noizy pop, puis le groupe avec violon... tout en gardant un<br /> certain style propre.<br /> <br /> <br /> <br />